FranceInfo et TF1 (à sa suite) prétendent que le lien entre euthanasie et pauvreté ne serait pas démontré dans les pays qui la légalisent. Est-ce que c'est vrai ? FranceInfo TF1
Tout d’abord, les sociologues distinguent trois types de « pauvreté » :
Le facteur économique ne doit pas être opposé aux facteurs sociaux, la pauvreté subjective étant multifactorielle : dépendance, perte de dignité, douleur participent du sentiment de pauvreté.
En 2024, la proportion des patients justifiant leur recours à la « kill pill » par des raisons financières culminait à 9,3% en Oregon, État qui a légalisé le suicide assisté en 1998.
S’il est vrai que le manque d’argent est encore aujourd’hui la cause la moins souvent avancée pour demander le suicide assisté en Oregon, elle l’est de plus en plus souvent avec le temps. Source Oregon
Proposition d’interprétation de cette courbe : au début les bourgeois s’emparent de la nouveauté qu’est l’euthanasie, prioritairement parce qu’ils savent réclamer leurs droits, mêmes nouveaux.
Et puis ça se démocratise : les bourgeois ayant montré la voie, ils cessent d’être surreprésentés dans les patients qui demandent la mort. Ils passent le relai sociologique aux plus défavorisés. Ce processus prend du temps, il n’est pas achevé dans les pays qui ont légalisé. Mais il est en cours.
C’est une hypothèse. Basée sur les chiffres de l’Oregon.
Quid du Canada ? Un article non cité par France Info montre que si les euthanasies sont globalement réparties équitablement, les DEMANDES d’euthanasie sont surreprésentées chez les CSP – en Ontario.
Les catégories défavorisées se retrouveraient alors DANS UN PREMIER TEMPS prises entre le marteau de conditions qui les poussent plus que d’autres à demander l’AMM, et l’enclume d’un système social qui tend à moins la leur accorder qu’à d’autres profils plus favorisés.
Dans un deuxième temps, elles seraient sans doute plus représentées dans les euthanasies réalisées, cf. la courbe de l’Oregon, ou l’effet « normalisation ». Les bourgeois ouvrent la brèche, et statistiquement ce sont les pauvres qui suivent.
Ce n’est qu’une hypothèse car le Canada ne réalise pas une enquête aussi précise que l’Oregon sur les déterminants économiques du souhait de mort, et les enquêtes sociologiques sont rares sur ce phénomène.
France Info cite un article plus ancien (pourquoi ?), qui porte sur la première version de la loi canadienne, restreinte aux patients mourants. Avant l’extension de 2021.
C’est à côté de la plaque. 1️⃣ Les patients « pionniers » ne sont pas représentatif de la norme une fois la loi bien établie. 2️⃣ Il faut comparer ce qui est comparable : la PPL Falorni en France ressemble à la loi canadienne de 2021, pas de 2016.
Pire, France Info cite James Downar, militant euthanasiste : « il n'existe absolument aucune donnée permettant de conclure que le recours à l’AMM serait […] le résultat […] d'un accès insuffisant aux soins palliatifs, d'un dénuement socio-économique ou d'un isolement quelconque ».
Et France Info oublie (pourquoi ?) de citer un article cosigné par 170 médecins canadiens contestant la déclaration de Downar.
Ils rapportent que sur une période de 6 mois, les médecins effecteurs de l’AMM ont estimé dans 35 % des cas que les patients n’avaient pas reçu tous les traitements appropriés et disponibles, et dans 17 % des cas que les traitements étaient difficiles d’accès pour les patients.
Dans le même article, on retrouve le témoignage des « effecteurs » [E]. Petit florilège :
« Il me faut parfois traiter la demande de personnes qui sont seules, n’ont pas d’enfant, pas de partenaire, pas de proche parent dans les environs. C’est le facteur qui m’inquiète le plus, la situation sociale. » (E7)
« J’ai pensé que sa demande d’AMM était en réalité en partie une demande d’accès à certains services en particulier, parce qu’elle était malheureuse avec ceux qu’elles recevaient en fait… et parce qu’elle était handicapée et qu’elle avait de faibles ressources financières d’autre part. Les choses auraient pu être différentes pour elle si elle en avait eues davantage, si elle avait pu avoir de l’aide 24h sur 24, 7 jours sur 7. Mais je n’en suis pas sûr. » (E. 6)
Le principal dilemme éthique évoqué par les participants était que "l'AMM n'est pas destinée à remédier à nos échecs dans notre société" (E5)
Quid de la Belgique, qui a légalisé en 2002 ? Tout va bien selon France Info.
Mais France Info oublie de citer l’étude intégralement.
Les études en Belgique sur les déterminants sociaux de l’euthanasie sont extrêmement parcellaires. La variable socio-économique sur le temps long n’est pas surveillée dans les rapports annuels sur l’euthanasie en Belgique.
Ces rapports montrent toutefois que le pourcentage des euthanasies pour souffrance physique pure tend à diminuer au profit des euthanasies pour souffrances psychiques (pures ou combinées).
Ces souffrances psy, selon les exemples des rapports, concernent la « dépendance, perte d’autonomie, solitude, désespérance, perte de dignité, désespoir à l’idée de perdre sa capacité à entretenir des contacts sociaux, etc. »
L’augmentation de la part des euthanasies qui y sont liées est un scandale. Elle démontre le poids croissant de la précarité subjective dans la demande d’euthanasie en Belgique.
« Pourquoi ne pas nous laisser partir quand nous le demandons ? Il y a aussi un aspect économique : nous pouvons faire gagner beaucoup d’argent. Un home correct coûte plus cher que le montant de nos pensions. » (Anne et François, euthanasiés en 2015)Source Moustique
Les quelques informations dont nous disposons (Belgique, Oregon, Canada) ne sont pas du tout unanimes, elles n’affirment pas du tout qu’il n’y a aucun lien entre euthanasie et pauvreté.
Mais elles sont parcellaires : le journal scientifique The Lancet demandait ainsi que plus d’études soient réalisées sur les pays ayant légalisé la mort sur consentement.
Il faut que les journalistes soient à la hauteur du débat. Quand on parle d’euthanasier les pauvres, il faut éviter de ne relayer que les sources qui sont tranquillisantes.
On appelle ça de l’ignorance volontaire et donc coupable.
#StopLoiEuthanasie
Réveillons-nous.